La clé, c’est de s’entourer de personnes compétentes, de s’appuyer sur celles et ceux qui savent mieux que nous, et surtout, de ne pas en avoir peur.
Merci beaucoup, je suis vraiment ravie de pouvoir partager une vision qui pourrait être perçue comme atypique, je ne sais pas si c’est le cas, mais ce qui m’anime profondément dans mon quotidien, c’est l’impact que je peux avoir auprès des femmes et des hommes de l’entreprise. J’aime mon métier, je dirais même que je l’adore, avec un grand A.
Mon parcours reflète cette passion. Il est peut-être intéressant justement parce qu’il illustre l’évolution de ma vision du métier. Le métier de RH que j’exerçais il y a quelques années et celui que je pratique aujourd’hui sont très différents, même si un fil rouge, une colonne vertébrale demeure. Mon expérience dans les opérations, dans le business, m’a rapprochée encore davantage des personnes et du lien essentiel entre performance et considération.
J’ai eu plusieurs expériences, mais la plus marquante a été dans le retail, chez IKEA, où j’ai terminé en tant que DRH groupe pour IKEA France. Avant cela, j’ai été dirigeante de call center, et e-commerce, et aussi directrice d’une business unit, à la tête d’un magasin avec deux P&L : restaurant et magasin.
Ce furent probablement mes plus belles expériences. À l’époque, je pensais avoir le meilleur job du monde : je pilotais le business, je ressentais l’adrénaline du résultat, mais surtout, je faisais ce résultat avec et grâce à mes équipes. Il y avait ces moments de célébration, de convivialité, où l’on ne se contentait pas d’atteindre les objectifs, on innovait, on relevait des défis ensemble. C’était exceptionnel.
Ce parcours m’a appris à m’appuyer sur les équipes. Je n’étais pas experte du retail, ni de la logistique, pourtant ce sont des domaines cruciaux dans la distribution. Il faut comprendre les enjeux de marge, de relation client, de SAV, de merchandising… Et moi, je ne suis pas architecte, mais il fallait savoir faire du beau pour vendre.
La clé, c’était de s’entourer de personnes compétentes, de s’appuyer sur celles et ceux qui savent mieux que nous, et surtout, de ne pas en avoir peur. Je répète souvent à mes équipes : il ne faut jamais craindre d’avoir meilleur que soi à ses côtés. C’est ce qui permet d’exceller collectivement. Il ne faut pas avoir peur du mot excellence. Il fait partie de mon vocabulaire, avec toute l’humilité que je mets dans mes actions et les valeurs que je porte. L’excellence, c’est une très belle manière d’envisager les choses.
Dès lors que l’on se fixe l’exigence de réussir sans que cela se fasse au détriment des personnes, mais au contraire avec eux, alors on trouve la bonne recette.
Oui, bien sûr. À partir du moment où l’on considère les personnes, où l’on prend le temps de les regarder, de croiser leur regard, de leur accorder un instant, elles nous renvoient énormément. Ce qu’elles nous donnent, c’est une forme de vérité, ce qui a réellement du sens pour elles.
La symétrie des attentions, c’est justement cela : on veut bien s’occuper de nos clients, j’ai travaillé à la fois en B2C et en B2B, et si l’on veut réellement impacter positivement le client, le consommateur, lorsqu’il vient acheter, il faut aussi considérer la manière dont nos équipes sont traitées. Si nous voulons que nos clients soient bien accueillis, alors ceux qui les reçoivent doivent eux-mêmes se sentir bien considérés, écoutés.
C’est fondamental. Et j’ai appris cela dans le retail. Produire du résultat, oui mais avec les personnes. Ce n’est pas l’un ou l’autre, c’est l’un et l’autre. Dès lors que l’on se fixe l’exigence de réussir sans que cela se fasse au détriment des personnes, mais au contraire avec eux, alors on trouve la bonne recette. Et jusqu’ici, je peux vous dire que cette recette a toujours fonctionné.
Mais cela ne veut pas dire que c’est simple. Cela demande une vraie exigence, du courage aussi. Car on peut être animé par la bienveillance, vouloir accompagner les gens, et se retrouver face à des situations où certaines personnes ne performent pas. La question devient alors : comment les accompagne-t-on vers plus de performance ? Ou, parfois, comment fait-on comprendre à quelqu’un qu’il n’est peut-être pas à la bonne place pour réussir ?
Cela demande du courage :déplacer une personne, lui proposer un autre poste, ou parfois se séparer d’elle. Ce n’est jamais agréable, mais garder quelqu’un dans une position où il souffre, où il ne délivre pas, où il risque d’être stigmatisé par ses collègues, ce n’est bon pour personne. Il y a une vraie responsabilité là-dedans.
Finalement, pour moi, considérer les autres, leur accorder une attention sincère, c’est ce qui crée de la valeur, toujours. Et le lien que l’on tisse à travers cela génère aussi une vision, un cap, et du sens dans les actions que l’on mène.
Manager, c’est choisir une responsabilité. On peut aimer les résultats, aimer piloter le business, mais il faut aussi aimer les gens
Le point de départ de ce programme, c’est une certaine vision du leadership : un leadership d’impact, un leadership social, qui embrasse plusieurs dimensions. Vous me demandiez tout à l’heure ma vision de la fonction RH : je dis souvent que je rajoute un « T » à mon titre de DRH. Je suis Directrice des Ressources Humaines, mais aussi Directrice des Relations Humaines, de la Transformation… On peut y ajouter beaucoup, car tout est organique. Les choses évoluent sans cesse, les individus bougent, les organisations aussi, et il faut continuellement se mettre en mouvement.
Ce programme a été pensé il y a plus de cinq ans, avant même mon arrivée. J’ai rejoint l’entreprise pour incarner ce projet, pour le porter avec sincérité et engagement. Pour moi, tout commence par l’incarnation : être aligné, authentique. Il s’agit de faire ce que l’on dit… puis de dire ce que l’on fait. Cette cohérence est fondamentale.
Le cœur du programme repose sur la connaissance de soi. Comment je prends soin de moi ? Comment j’identifie mes zones d’ombre, ce que les autres perçoivent de moi et que je n’aperçois pas forcément ? Cela suppose beaucoup d’humilité, mais c’est une clé essentielle : mieux se connaître pour mieux interagir avec les autres.
Au départ, nous avons été accompagnés par une experte externe. Puis nous avons totalement internalisé le programme : aujourd’hui, plus de 40 facilitateurs et facilitatrices internes le portent. Le programme s’est déployé à l’échelle européenne, puis mondiale, auprès du top management et du middle management. En France, et dans certains pays d’Europe, nous sommes allés jusqu’aux gérants de sites, aux premiers niveaux de management.
C’est un programme puissant, d’abord parce qu’il est immersif. Pendant deux jours, en présentiel, les participants se détachent de leur quotidien, de leur ordinateur. Ce n’est pas simple pour tout le monde. C’est pourquoi nous préparons les équipes avec une session en amont : on explique, on donne du sens, on anticipe les éventuelles réticences. On les équipe aussi avec de la lecture ; notamment un texte de Pierre Bellon datant de 1977 sur les comportements attendus des managers. C’est un texte simple, basique même, mais il a eu un effet très fort sur certains, notamment ceux qui ont une longue ancienneté dans l’entreprise. Pour eux, cela a été une reconnexion émotionnelle avec les valeurs initiales de Sodexo. Il y a eu de la vibration, de l’émotion. Et au fond, le management, c’est surtout cela: une affaire de relation humaine.
Manager, c’est choisir une responsabilité. On peut aimer les résultats, aimer piloter le business, mais il faut aussi aimer les gens. Le programme tourne autour de cette idée : comment je prends soin de moi ? Comment je recharge mes batteries ? Comme un athlète : on s’entraîne, on performe… et on récupère. Il faut intégrer cette logique de régénération.
On explore ensuite l’empathie, la vraie. Pas celle qui consiste à dire oui à tout, mais celle qui va de pair avec la performance et l’exigence. Et puis, il y a toute une culture du feedback que nous construisons. Fini le « feedback sandwich » un peu artificiel : l’idée, c’est d’apprendre à formuler un retour juste, au bon moment, avec les bons mots. Et même de demander l’autorisation : « Est-ce que je peux te faire un feedback maintenant ? » et « est-ce le bon moment pour toi ? »
Nous abordons des sujets comme le burn-out, la préparation aux vacances, le retour serein après les congés, l’accompagnement des proches aidants ou encore le deuil. Nous avons osé nommer les choses.
Cette démarche a été nécessaire en 2019 : il fallait, collectivement, se remettre en mouvement. Pour certains, ce fut un rappel de notions déjà connues ; pour d’autres, une véritable découverte. Mais dans tous les cas, cela répondait à un besoin réel. On ne pouvait pas immédiatement toucher tout le monde, alors nous avons commencé de manière progressive. Et surtout, nous avons laissé la place à une dynamique volontaire : certaines équipes ont souhaité aller plus vite, car cela résonnait fortement pour elles. Nous avons accepté cela. Il a fallu lâcher prise, sortir d’un déploiement classique, descendant, et adapter le rythme.
C’était une transformation choisie, assumée, qui s’est accélérée là où c’était pertinent, et ralentie là où elle nécessitait plus de temps pour être assimilée. Nous avons défini un plan de transformation managériale sur quatre ans. Nous sommes aujourd’hui dans la quatrième année. Ma plus grande fierté, c’est que les managers de premier niveau participent désormais activement. Et maintenant, mon rêve, mais j’y crois profondément, c’est d’ouvrir ce programme aux collègues non-managers, à la catégorie « employés ».
Car au fond, ce dont on parle ici, c’est de développement personnel, de connaissance de soi, des leviers essentiels pour chacun. Il est tout à fait possible d’aborder ces sujets via des formats plus courts, d’1h30 ou 2h. Le programme dans sa version complète dure deux jours, avec une session préparatoire en amont, puis des ateliers de renforcement ensuite : sur le feedback, sur la communication, sur la gestion de conflits…
Ce que j’apprécie particulièrement, c’est la régularité : se répéter, se rappeler les fondamentaux. La nature a horreur du vide, et parfois, lorsqu’on ne voit plus certaines pratiques en action, on a tendance à pointer du doigt : « lui ou elle ne le fait pas ». Je rappelle toujours à mes équipes : « Soyez le changement que vous voulez voir. » N’attendez pas que votre manager évolue pour évoluer vous-même.
C’est pour cela qu’on a prévu des ressources dans la durée, pour que chacun puisse continuer à pratiquer, à se renforcer. Et en parallèle, nous avons mis en place des « capsules santé »,notamment autour de la santé mentale. Avec l’aide d’une experte, nous abordons des sujets comme le burn-out, la préparation aux vacances, le retour serein après les congés, l’accompagnement des proches aidants ou encore le deuil. Nous avons osé nommer les choses. Et cela a permis d’apporter, à la fois, de la cohérence… et de la performance.
Nous avons commencé avec des cibles définies : les COMEX, les COMEX N-1, et les managers de premier niveau. Le COMEX, d’ailleurs, a suivi le programme après les autres, nous n’étions pas prêts à ce moment-là, il y avait des mouvements. Mais nous avons décidé de lancer malgré tout.
Rapidement, j’ai senti que l’enjeu était aussi d’ouvrir ce programme aux équipes, au-delà du management. Nous avons donc gardé une structure de déploiement progressive, mais nous avons aussi été très ouverts :si des personnes, même non-managers, levaient la main, nous les intégrions.C’est le cas de chefs de projet, des personnes aux rôles transverses, ou de personnes travaillant en mode réseau. Elles n’avaient pas de lien hiérarchique direct, mais elles avaient un impact. Et nous avons dit oui.
Effectivement, nous avons mis en place des sessions supplémentaires, adaptées à certaines fonctions. Par exemple, un manager des achats est venu nous dire :
« J’ai envie d’accélérer sur ce sujet, on est plus mûrs, il y a quelque chose à faire. » Et c’est là que la force de frappe de nos facilitateurs internes prend tout son sens. Ils sont agiles et capables d’intervenir à l’instant T, au plus près des besoins spécifiques d’une équipe, tout en respectant l’architecture globale du programme.
C’était essentiel de garantir cette cohérence, d’avoir un langage commun, une vision partagée. Dans une grande organisation, chacun peut être tenté d’utiliser ses propres mots, ses propres approches. Mais si on veut véritablement transformer une entreprise et générer de l’impact, il est nécessaire de parler la même langue, de viser la même ambition. Ensuite, bien sûr, chacun l’incarne à sa manière. Mais sur le fond, le sujet est commun, et la ligne directrice, elle, reste la même pour tous.
J’ai toujours porté cette conviction que la transformation ne se décrète pas depuis les RH : elle se construit, collectivement.
Exactement. Et cette harmonie, elle génère de la performance. D’abord parce qu’on ose nommer les sujets : la santé, l’absentéisme. Et les résultats sont très concrets. Nous avons observé, au cours des deux premières années, une baisse significative du taux d’absentéisme : -2 %, puis -3 %, -4 %, jusqu’à -6 %. Le nombre moyen de jours d’absence a également diminué.
Dans un secteur comme le nôtre, l’hospitalité, les services, la restauration, le taux de turnover est un indicateur clé. J’ai particulièrement surveillé le taux de départs volontaires, en distinguant bien sûr les séparations liées à la gestion de la non-performance. Et ce taux de démission a baissé de 11 % en deux ans. C’est considérable.
Nous avons gagné en rétention, mais aussi en sentiment d’appartenance. Le taux d’engagement a progressé de 11 points en deux ans. Ce sont des indicateurs très forts, et ces résultats se sont accompagnés d’une croissance visible, tant en France qu’à l’échelle européenne.
Alors oui, cela prouve que faire les choses avec du sens est non seulement possible, mais performant. J’évoquais tout à l’heure la notion d’impact : pour moi, cela n’exclut en rien la performance économique, bien au contraire. Il faut parler de performance financière, de performance d’équipe, de bien-être. Parce qu’une équipe qui se sent bien délivre mieux, travaille mieux, coopère mieux, gère les conflits plus sereinement grâce à la culture du feedback. Et cela permet d’avancer ensemble.
Ce programme est donc une vraie fierté. Il a du sens parce qu’il s’inscrit dans l’ADN de l’entreprise. Il a été co-construit, avec les équipes, avec les opérationnels. Et venant moi-même des opérations, j’ai toujours porté cette conviction que la transformation ne se décrète pas depuis les RH : elle se construit, collectivement. C’est ce qui a permis son adoption et son intégration en profondeur.
Ce qui est intéressant avec ce programme, c’est qu’il a permis des ajustements, une forme d’autorégulation. Je me souviens de retours très directs des organisations syndicales, par exemple : certains me disaient que telle ou telle pratique manquait d’empathie. C’est une chance, car je leur avais proposé de suivre le programme sans aucune obligation et 90 % d’entre eux ont accepté.
C’est une expérience immersive : pas de slides, on travaille en sous-commissions de 10 personnes, puis on passe en plénière à 80. Cela crée une vraie exigence relationnelle et une exigence de performance. Ce que j’ai vraiment apprécié, c’est la capacité du dispositif à évoluer, à s’ajuster. Et c’est précisément cela, pour moi, la force d’une transformation organique. Évidemment, il y a aussi les transformations technologiques ou organisationnelles, mais quand on touche aux comportements, on a un impact plus durable.
Quand on impose quelque chose, on crée de la résistance. Quand on construit avec les équipes et que cela fait sens, alors on crée des ambassadeurs.
Absolument. J’ai pour habitude de dire que j’aime « tirer la ficelle » de ce qu’on entreprend. L’innovation est au cœur de ma démarche RH : innover dans les pratiques, dans les formats d’apprentissage… C’est ce qui me caractérise. On a souvent une vision très scolaire du développement des compétences : une salle, sept heures de formation. Mais en réalité, je peux passer une heure avec vous, Sarah, apprendre énormément de choses, et le considérer comme une expérience d’ « action learning ».
Ce que je cherche, c’est à faire mieux, parfois avec peu de moyens. Dans nos secteurs, il faut souvent faire preuve de frugalité. Alors on innove, dans le digital, dans les pratiques RH. Et ces innovations nous permettent d’aller plus loin, de mieux faire.
Deux exemples concrets : les programmes de végétalisation des menus. Dans une logique de transition alimentaire, comment fait-on pour que les équipes aient les moyens d’élaborer et de transmettre de nouvelles recettes ? Aussi, nous avons lancé un programme à l’échelle européenne, avec la France en pilote, pour accompagner la transformation dans nos métiers autour des services, du food en repensant l’hospitalité.
L’idée était de repositionner nos équipes non pas uniquement comme des experts techniques de ce qu’il y a dans l’assiette, mais comme des experts de la relation. Raconter d’où viennent les carottes, proposer une alternative au plat de la veille… C’est aller jusqu’à une forme d’interaction nourrie et de transmission avec le client. Et tout cela est rendu possible parce qu’on s’autorise, via la culture du feedback, à être soi-même, à incarner une relation empathique.
Mais au-delà, il y a aussi une vigilance RH très forte autour des signaux faibles. Nos managers nous ont remonté des situations très concrètes : violences conjugales, difficultés de logement… Quand on a 30 000 salariés en France, plus de 100 000 en Europe, et 425 000 dans le monde, on représente un véritable échantillon de la société.Toutes les réalités sociales s’y reflètent, les belles comme les plus difficiles.
Et pour moi, il est fondamental de ne pas détourner le regard. Il faut regarder ces situations, les traiter.Nous avons donc mis en place des dispositifs d’accompagnement spécifiques pour soutenir des salariés confrontés à des situations de logement critique, de violences conjugales… Parfois, cela signifiait tout simplement les aider à déménager, à se reconstruire.
C’est cette vision du progrès qui m’anime : co-construire avec les opérations. J’ai beaucoup appris de cette posture. Quand on impose quelque chose, on crée de la résistance. Quand on construit avec les équipes et que cela fait sens, alors on crée des ambassadeurs.
Un exemple très concret de notre esprit d’équipe, notre deuxième valeur, c’est l’organisation d’un événement «Impact » autour de l’inclusion. Il a été monté en un temps record, et il rassemblait autant d’opérationnels que de RH. Ce n’était pas un sujet RH, c’était un sujet de leadership collectif et social. Quand les recruteurs sont des opérationnels qui viennent représenter l’entreprise, porter ses valeurs et devenir ambassadeurs, alors on touche à quelque chose de vraiment puissant.
Et j’insiste aussi sur un point essentiel : lorsqu’on déploie des dispositifs de formation ou de développement, il ne faut pas oublier les personnes sur site, les employés, qui sont souvent les plus vulnérables face aux évolutions des compétences de demain. Nous ne les oublions pas. Nous mettons en place des accompagnements spécifiques. C’est une ligne directrice.
Cela m’a aussi poussée à me dépasser dans ma propre fonction, dans la vision que je porte du rôle RH. Les équipes RH, traditionnellement vues comme supports, ne peuvent plus se contenter de ce rôle. Je leur dis toujours : « Vous ne devez pas être des business partners, vous devez être des co-leaders. » Il faut co-construire, avoir ce pas d’avance. Et c’est là que la prospective prend tout son sens. Elle est indispensable. On est là pour préparer, pour amortir les chocs. Et c’est pourquoi la prospective RH est un levier stratégique à part entière.
C’est cette alchimie-là, ce mélange intergénérationnel et interculturel, qui peut faire émerger des réponses justes et durables.
Pour moi, cette responsabilité s’incarne avant tout dans notre manière d’interagir, avec une exigence de cohérence. Le monde change, parfois de manière brutale. Les événements géopolitiques influencent nos façons de faire, et l’on constate une montée de l’anxiété au travail. Face à cela, j’ai voulu que l’entreprise devienne une véritable zone de sécurité, un espace où chacun peut être lui-même. Pouvoir dire « je ne vais pas bien », pouvoir parler de sa santé ou de ses préoccupations, c’est fondamental. Il s’agit d’accueillir les vécus, la pluralité des parcours, et de construire une culture d’entreprise inclusive, une équipe qui accueille, qui soutient.
C’est cette culture que nous avons voulu bâtir pour améliorer la performance, mais aussi pour donner du sens à ce que nous faisons. Et cela se traduit aussi dans notre ancrage territorial, dans la lignée de l’héritage de Pierre Bellon. Concrètement, cela signifie travailler au plus près des réalités locales : comment un emploi donné peut avoir un impact dans un bassin d’activité ? Comment on collabore avec les partenaires locaux pour former, pour intégrer des personnes qui ne sont pas issues de nos métiers, que ce soit la restauration, l’hospitalité, la maintenance ou d’autres ?
Cela passe par des dispositifs très concrets : du mentorat, de l’accompagnement individualisé, notamment pour des personnes en situation de fragilité : jeunes sortis du système scolaire, femmes ou hommes ayant fait une pause dans leur carrière, etc. Ce qui compte, ce n’est pas tant la formation initiale que le savoir-être et la motivation. Et si ces éléments sont là, alors nous les accompagnons pour leur permettre de franchir les étapes. Cette responsabilité sociale va jusque dans les territoires. Elle crée un effet miroir entre ce que l’on construit en interne et ce que l’on rend accessible à l’extérieur, en particulier aux publics les plus éloignés de l’emploi.
C’est cela, le leadership social: faire les choses avec cœur et avec sens. Et c’est aussi une réponse stratégique, quand on regarde les grandes tendances de fond. Les flux migratoires vont s’intensifier, les enjeux démographiques sont majeurs. Il va falloir apprendre à faire cohabiter plusieurs générations, à faire en sorte que les seniors continuent de transmettre, que les plus jeunes apportent leur vision et acceptent, eux aussi, de déconstruire ce qu’ils croient savoir. C’est cette alchimie-là, ce mélange intergénérationnel et interculturel, qui peut faire émerger des réponses justes et durables.
Pour moi, l’enjeu, c’est de donner du sens à ces mutations, de ne pas les subir, mais de les transformer en opportunité collective.
Pour être tout à fait transparente, nous n’avons pas encore de cellule de prospective RH formalisée.En revanche, il y a deux ans, j’ai initié une démarche exploratoire avec mon équipe RH, que j’appelle mon « COMEX RH ». Une petite équipe, très engagée, avec laquelle nous avons mené un travail approfondi autour de la prospective, accompagnées par une experte du sujet, Carine Dartiguepeyrou. Je ne suis pas une spécialiste moi-même, mais je suis très curieuse et passionnée par ces questions. Nous avons ainsi travaillé sur des scénarios, ouvert le champ des possibles, creusé de manière systémique les différentes dimensions :technologiques, sociales, environnementales, économiques…
Nous avons aussi imaginé notre futur désiré. Car dans un monde incertain, il est essentiel de définir un cap :cela permet de mieux absorber les chocs, de faire face à l’imprévu sans se désorienter. Les choses ne se déroulent jamais exactement comme prévu, mais avoir cette vision permet de garder le cap malgré les aléas.
Aujourd’hui, nous commençons à déployer cette approche plus largement au sein de Sodexo. Mais ce qui me semble essentiel, c’est d’ancrer cette démarche dans le réel. Je fais régulièrement des visites terrain, je suis en lien avec les représentants syndicaux, les managers de proximité, les directeurs régionaux… J’ai un réseau de contacts qui me permet de capter les signaux faibles. Je recueille leurs ressentis, je confronte leurs remontées avec les tendances que j’observe ailleurs. Je lis beaucoup, j’échange avec mes homologues RH dans d’autres secteurs, je scrute ce qui bouge, ce qui émerge.
C’est ainsi que je bâtis mes programmes. Cette veille m’aide à prendre un pas d’avance, à ne pas attendre que les besoins deviennent urgents. Par exemple, sur certaines compétences qu’on ne trouve pas facilement sur le marché, on ne reste pas inactifs. On met en place des dispositifs de formation agiles : quatre mois de parcours mixte, théorie et pratique, encadrés par nos experts, une certification interne, et les talents sont opérationnels.
Je multiplie aussi les formats informels. Chaque mois, j’organise un petit déjeuner avec des équipes ou salariés issus de tous horizons, opérationnels, fonctions support… Il n’y a pas d’ordre du jour. On échange librement. Et très vite, surgissent des discussions sur l’organisation, les enjeux clients, les transformations en cours. C’est une richesse inestimable. Ces échanges nourrissent ma réflexion, m’apportent une matière très concrète, connectée au terrain. Et c’est ce croisement entre les tendances de fond, les lectures, et cette réalité humaine et organisationnelle que je trouve passionnant.
Quand nous avons lancé le chantier de la prospective RH, j’ai demandé à notre prospectiviste d’aller sur le terrain, de rencontrer des profils très variés : une diététicienne, un plongeur, un gérant de site, un cuisinier, un manager. L’idée était de faire un véritable « deep dive », de confronter les visions stratégiques avec les réalités quotidiennes. Et de vérifier si les grands discours sont en phase, ou non, avec la perception des équipes. C’est ce dialogue constant entre vision et terrain qui rend, à mon sens, la démarche crédible et efficace.
Pour certains employés, ces mutations peuvent sembler lointaines. Ils se disent que, dans leur quotidien que ce soit en cuisine ou sur des tâches très manuelles, le digital n’aura pas d’effet immédiat. Et pourtant, ces évolutions sont en marche. Ce qui importe, c’est d’anticiper, de préparer les transitions, d’accompagner les changements de tâches ou de processus qui vont progressivement modifier nos manières de produire et d’interagir.
Nous observons déjà des évolutions concrètes : des menus générés grâce à l’intelligence artificielle, des planifications ajustées en fonction des flux d’activité, parfois même en temps réel. Ce sont autant de signaux faibles qui annoncent les transformations à venir. Et plus nous les intégrons tôt dans notre réflexion, plus nous serons en mesure de les encadrer avec sens et humanité.
C’est dans cette perspective que je conçois la prospective : comme un croisement entre les grandes tendances, l’écoute du terrain, le ressenti, l’intuition parfois, mais aussi l’expérimentation concrète. Pour moi, l’enjeu, c’est de donner du sens à ces mutations, de ne pas les subir, mais de les transformer en opportunité collective. C’est ainsi que nous pourrons construire une dynamique de changement durable, inclusive et alignée avec nos valeurs.
Alors déjà, je crois que cela commence par la posture. Comme vous l’avez souligné, je suis effectivement une personne passionnée. Mais au-delà de ça, je pense que pour agir en faveur de l’individu, il faut véritablement aimer les gens. Il faut avoir ce goût de l’autre et ce désir d’améliorer concrètement leur quotidien. L’esprit de service est fondamental dans notre culture, et à partir du moment où il est sincère, il devient un formidable levier pour se mettre en mouvement.
Alors bien sûr, cela suppose de l’humilité, de la remise en question, mais aussi de la détermination et du courage. Il faut oser nommer les choses, on l’a dit plus tôt, lever les tabous est fondamental. Il ne faut pas pratiquer la politique de l’autruche. Et puis il y a aussi cette nécessité permanente de donner du sens à ce que l’on fait, au pourquoi de nos décisions. Les équipes, je le crois profondément, fonctionnent beaucoup par mimétisme. Quand une démarche est incarnée avec conviction et cohérence, elle infuse. J’éprouve une immense fierté lorsqu’un collègue reprend un mot, une posture que j’ai portée. Je me dis : « ça, je crois que je l’ai déjà dit quelque part », et c’est ma plus belle récompense.
J’éprouve cette même fierté quand je vois mon équipe grandir, quand des opérationnels osent postuler sur de nouveaux postes ou prennent la parole sur des sujets clés. Pour cela, il faut créer l’espace. L’espace pour s’exprimer, mais aussi pour débattre. Bien sûr, il y a des échanges parfois tendus, des désaccords, on n’est pas toujours alignés, surtout lorsqu’on porte des approches nouvelles. Mais nous expliquons, nous contextualisons. Et chacun peut décider de s’inscrire dans cette dynamique ou de l’incarner à sa manière.
Pour moi, il est essentiel d’avoir un cap, une direction claire, un futur désiré. Et il faut accepter que nos métiers, comme beaucoup d’autres, comportent des moments difficiles. Il m’arrive de devoir prendre des décisions dures, et je m’efforce toujours de le faire avec justesse, d’expliquer, de donner du sens, et surtout d’accompagner les personnes concernées avec le plus de respect possible, avec des imperfections aussi ...
Je pense que lorsqu’on agit avec considération, avec respect, les choses fonctionnent. Les jeux de pouvoir, les enjeux politiques, existent, bien entendu. Mais l’exemplarité est un levier fort. Lorsqu’on la cultive, elle crée un effet miroir, elle oblige les autres à se positionner. Et je fais confiance à l’organisation, à sa capacité à s’autoréguler, à arbitrer ce qui doit l’être.
La stratégie ne peut pas ignorer ce qui se vit concrètement sur le terrain. Si l’on n’apporte pas des solutions tangibles, si l’on n’allège pas les irritants du quotidien, si l’on n’améliore pas les conditions de travail ou le niveau d’écoute managériale, alors aucune feuille de route aussi brillante soit-elle ne trouvera d’écho.
C’est vraiment, aujourd’hui, le cœur du métier RH, et plus largement du leadership. Il s’agit d’un équilibre permanent. Ce que l’on met en place peut être remis en question du jour au lendemain, donc il faut garder une certaine agilité tout en restant aligné avec notre vision. Pour ma part, je travaille sur des feuilles de route à trois ou quatre ans. C’est cette projection stratégique qui m’aide à structurer mon action.
Mais je reste pragmatique : cette stratégie est vivante, elle s’alimente, elle s’illustre, elle s’incarne. Et en parallèle, je veille toujours à produire des résultats visibles à court terme, ce que j’appelle les quick wins. Ce sont des actions concrètes, immédiatement utiles, qui rassurent les équipes, démontrent la pertinence de notre cap, et posent les fondations pour le long terme.
J’ai ce trait de caractère, ou ce défaut peut-être, d’être impatiente. Mais j’ai appris à temporiser. Trois ans, pour certains, c’est du court terme, pour d’autres, du moyen terme. L’essentiel, c’est d’avoir une vision claire : quel futur désiré pour nos équipes ? pour notre fonction RH ? pour notre leadership collectif ? Une fois cette vision posée, je peux avancer.
Bien sûr, il faut accepter que tout ne suive pas une ligne droite. Il y aura des à-coups. Mais je distingue bien ce qui peut se faire rapidement en trois, six ou douze mois, de ce qui demandera plus de temps. Et surtout, je mesure : les progrès qualitatifs et quantitatifs. C’est indispensable pour donner confiance, ajuster nos actions, et embarquer les équipes.
Et enfin, venant des opérations, je n’oublie jamais le quotidien. La stratégie ne peut pas ignorer ce qui se vit concrètement sur le terrain. Si l’on n’apporte pas des solutions tangibles, si l’on n’allège pas les irritants du quotidien, si l’on n’améliore pas les conditions de travail ou le niveau d’écoute managériale, alors aucune feuille de route aussi brillante soit-elle ne trouvera d’écho.
La communication, elle est évidemment centrale dans cette perspective. Et j’ajouterais, avec l’expérience et un peu d’humilité, qu’il faut savoir, à certains moments, faire différemment. Savoir faire un pas de côté, savoir dire stop, ou ajuster une feuille de route. C’est essentiel dans un environnement incertain, mouvant, où des éléments nouveaux peuvent bouleverser nos plans. C’est ainsi que j’essaie d’apporter une forme de sérénité dans le pilotage, pour mes équipes et pour l’organisation.
C’est un véritable équilibre à trouver, oui. Et parfois un tiraillement. On peut être très engagé humainement, avoir cette volonté d’inclure, d’accompagner, d’écouter… mais être confronté à des réalités économiques, des restructurations, des décisions compliquées. Dans ces moments-là, je reviens toujours à deux choses : la cohérence et la transparence. On peut prendre une décision difficile si elle est expliquée, si elle est comprise dans un ensemble, si elle est mise en œuvre avec respect. Et puis surtout, je me demande toujours comment je peux accompagner au mieux, dans cette phase-là, pour que la personne concernée reparte malgré tout avec de la considération, avec une forme de reconnaissance.
Il ne faut pas non plus craindre des notions comme la performance, le résultat et le bien-être au travail. L’un n’exclut pas l’autre : on peut tenir ensemble les valeurs humaines et les exigences économiques. Oui, bien sûr, il faut parfois prendre des décisions difficiles, ajuster son cap, se séparer de certains profils, ou en recruter d’autres là où cela semble inattendu. Ce que j’ai appris, au fil des années, c’est qu’on peut faire tout cela avec respect, dans la vérité, et en donnant du sens...et accepter de décevoir.
C’est peut-être cela, ma ligne directrice. Même si certaines décisions sont dures à vivre pour les autres comme pour moi, je m’efforce toujours de les aborder avec lucidité et avec cette question centrale : comment puis-je les mettre en œuvre de la manière la plus respectueuse possible ? Car ce n’est jamais anodin. Il peut m’arriver de me dire : « Là, tu vas vivre une situation difficile. Tu risques de décevoir. Peut-être même de te décevoir. Mais comment peux-tu le faire avec intégrité ? » Et je veille à ne jamais perdre de vue cette exigence.
La difficulté, quand on est DRH, c’est que tout le monde n’a pas la même capacité à incarner cela, à porter une décision difficile, à gérer des situations qui peuvent paraître injustes ou déséquilibrées. Une transformation, aussi bénéfique soit-elle pour l’entreprise, peut être perçue comme une menace par d’autres. C’est là que l’empathie entre en jeu : comment comprendre tous les impacts possibles, comment évaluer qui sera affecté, à quel moment, de quelle manière ? Et comment continuer à donner du sens, à maintenir un cap collectif, tout en restant aligné avec ses valeurs ?
Cela suppose aussi une certaine exemplarité. Parce qu’on ne peut pas exiger des autres ce qu’on ne s’applique pas à soi-même. Et j’espère que cette posture peut, d’une certaine manière, se diffuser de manière positive dans l’organisation. En tout cas, je m’efforce sincèrement de le faire avec constance et sincérité.
Merci pour cette question.
Très simplement de continuer à exercer mon métier avec le sourire, avec la même énergie, avec la même envie. Continuer à faire ce que je fais, avec sens et conviction.