Notre ambition, c’est que l’entreprise à mission devienne la norme : faire du business en alliant responsabilité et liberté.
Je suis Valérie Brisac, directrice générale de la Communauté des entreprises à Mission depuis un an et demi.
Notre association est née quelques mois avant la promulgation de la loi PACTE, sous l’impulsion des initiateurs du texte : des dirigeants engagés comme Laurence Méhaignerie de Citizen Capital, Anne-France Bonnet de Nuova Vista, Emery Jacquillat de la Camif, mais aussi des chercheurs des Mines qui avaient formulé le concept initial d’« entreprise à objet social étendu ».
L’objectif était simple : accompagner la mise en œuvre de cette innovation juridique et promouvoir ce modèle unique, pensé pour permettre aux entreprises d’intégrer des considérations sociales et environnementales à leur stratégie et, plus fondamentalement, pour leur permettre d’anticiper les crises et de rester performantes et pérennes au XXIᵉ siècle.
Notre ambition se structure à trois niveaux, mais elle est guidée par un même objectif : que l’entreprise à mission devienne la norme.
Nous voulons en finir avec l’idée du business as usual. Nous aspirons à ce que les entreprises d’aujourd’hui se développent en conjuguant responsabilité et liberté, sans ignorer les conséquences sociales et écologiques de leurs activités.
Le premier axe d’action est européen : Emery Jacquillat porte ce chantier, aux côtés d’autres réseaux européens comme les Italiens de la Società Benefit. L’idée est de défendre ce modèle au niveau des institutions européennes, en plaidant pour la création d’une "Purpose Driven Company" : un modèle volontaire qui allie liberté entrepreneuriale et responsabilité.
Le deuxième axe est national : nous sommes l’interlocuteur privilégié des pouvoirs publics sur la question des entreprises à mission. Notre rôle est de faire en sorte que ce modèle soit vu comme une solution innovante et concrète face aux enjeux du XXIᵉ siècle.
Enfin, le troisième axe est régional : historiquement, notre communauté était très parisienne. Or, seules 42 % des entreprises à mission sont franciliennes. Il existe une vraie dynamique dans les territoires. Mon enjeu a donc été de déployer un réseau d’ambassadeurs dans chaque région pour amplifier notre action et porter la voix de l’entreprise à mission auprès des acteurs économiques locaux.
Nous avons exactement 2 071 entreprises à mission recensées.
C’est un chiffre qui a doublé en deux ans, triplé en trois ans, malgré un contexte mouvementé : la crise du Covid, la guerre en Ukraine, la dissolution de l’Assemblée… Et malgré l’instabilité actuelle autour de la CSRD, la dynamique reste forte.
En termes d'impact, ces entreprises représentent environ un million de salariés, sur un total d’environ 20 millions de salariés dans le privé en France. Cela donne un premier ordre de grandeur : on commence à peser.
Pour devenir entreprise à mission, il suffit d’ajouter à ses statuts une raison d’être, des objectifs statutaires précis, ainsi qu’un mécanisme de gouvernance : soit un comité de mission, soit un référent mission. Ceci devant, bien sûr, avoir fait l’objet d’une réflexion collective préalable.
À partir du moment où ces éléments sont déposés au greffe, l’entreprise est officiellement à mission. Mais tout reste alors à faire : il lui faut démontrer, par ses actes, qu’elle respecte la promesse faite à la société.
C’est là qu’intervient le véritable contrôle : par le Comité de mission, tout d’abord, qui vient questionner régulièrement la gouvernance de l’entreprise sur la réalité de la mise en place de la mission ; et par un organisme tiers indépendant, qui à la manière d’un commissaire aux comptes, vient auditer l’entreprise au bout de 18 mois ou 2 ans, selon sa taille, puis tous les 2 ou 3 ans ensuite.
C’est cette vérification qui atteste, de manière objective, que l’entreprise honore sa mission. La transformation ne s’arrête donc pas à la rédaction des statuts : elle se construit dans l’action et dans le temps.
En arrivant, j'ai ressenti d'abord un immense sentiment d’humilité.
La gouvernance en place depuis le début était constituée de profils très engagés : des dirigeants de grandes entreprises avec un vrai track record, et aussi des chercheurs capables d’une grande hauteur de vue et d’une remarquable capacité de conceptualisation. Il y a beaucoup de profondeur à la Communauté des entreprises à Mission. Nous produisons des contenus exigeants, sérieux.
Mon premier défi a donc été de trouver ma place dans cet écosystème, puis de m'y installer en quelque sorte comme chef d'orchestre car c’est ce que l’on attendait de moi.
Il fallait à la fois faire vivre cette gouvernance, rythmer les prises de décision, et leur donner un rôle actif, pas seulement consultatif. Et en parallèle, piloter une équipe qui était elle-même en phase de transition, trouver les bons profils.
J’ai eu très peu de temps pour mener un traditionnel rapport d’étonnement : il a fallu très vite réfléchir à un plan stratégique, compte tenu du rythme imposé par la gouvernance.
Et puis, il y avait un autre défi de taille : organiser un congrès déjà prévu avant mon arrivée, mais pour lequel presque rien n'était structuré, à part la date. Ce congrès devait rassembler plus de mille personnes, à l’échelle française et européenne, autour des entreprises à mission.
Les premiers mois ont donc été, disons-le franchement, très challengeants.
Une chose m’a frappée immédiatement : nous n’étions pas suffisamment armés pour soutenir notre développement.
L’équipe était bien organisée pour animer les membres existants, des activités, des cercles de réflexion, etc. mais pas structurée pour attirer de nouveaux membres, ni pour promouvoir le modèle de manière plus proactive.
Ma première décision a donc été de créer un poste de directeur du développement, pour porter ce travail de conviction auprès des dirigeants et organiser un véritable réseau de partenaires.
Car nous sommes seulement dix à la Communauté pour toucher toute l’économie française, ce qui reste modeste.
Même si notre financement repose quasi exclusivement sur nos membres, un vrai signe de confiance, cela ne suffit pas. Il fallait donc tisser des liens plus étroits avec d’autres réseaux, comme la CEC, le CJD (Centre des Jeunes Dirigeants), … ou Initiative France, pour pouvoir porter le modèle auprès des créateurs, repreneurs ou dirigeants d’entreprises.
L'idée n'est pas de forcer la main : devenir entreprise à mission reste un choix libre. Mais au moins, il faut que chaque entrepreneur en ait connaissance, que la question leur soit posée naturellement dans leurs parcours.
Il y avait une fierté palpable parmi les dirigeants : celle d’être à l'avant-garde d’une nouvelle économie.
Le message central était limpide : ça marche.
À travers toute cette journée, nous avons montré la pluralité des visages de l’entreprise à mission.
Des dirigeants (comme Morgane Le Breton, co-gérante Maison Le Breton, Jean-Vincent Raymondis, CEO Groupe Saretec ou Julien Denormandie, directeur de l’impact chez Sweep) sont venus témoigner, chacun avec leur prisme, selon leur secteur, leur maturité, leur histoire. Ils ont raconté comment ce modèle les avait aidés à transformer leur business model, à opérer des renoncements, à s'engager collectivement.
Et ce qui a été magique, peut-être le résultat d’un travail éditorial très poussé en amont, c’est cette forme de catharsis qui s’est produite. Il y avait une fierté palpable parmi les dirigeants : celle d’être à l'avant-garde d’une nouvelle économie.
Et surtout, une démonstration forte que ce n’est pas du marketing : l’engagement est profond, sincère. Ce n’est pas un vernis.
Des salariés ont aussi pris la parole, des représentants syndicaux, des membres de comités de mission, mais aussi les organismes tiers indépendants venus partager ce qu’ils observent dans les entreprises.
En somme, tout un écosystème a témoigné d’un chemin de transformation déjà engagé, d’un changement de stratégie qui s’installe sur le long terme et qui porte ses fruits.
Dans les territoires, c’est concret : sécheresses, tempêtes, inondations… Il faut être totalement déconnecté ou aveugle pour ne pas voir ce qui se passe.
Je pense que c’est la rencontre de deux ressorts fondamentaux.
D’abord, les dirigeants ont une appétence naturelle à reprendre leur destin en main. Ils aiment inventer, bâtir, projeter. Et au fond, ils se sentent responsables d’un corps social : leur entreprise. L'entreprise à mission leur offre justement cette possibilité de reprendre la main, mais par le haut, par l'innovation, par l'invention, par la capacité d'anticiper et d'imaginer autrement.
Face aux incertitudes du monde, les dirigeants les plus stratèges y voient une opportunité : redonner de la clarté, se fixer une boussole, une direction certes lointaine, parfois presque inaccessible mais qui donne du sens et structure l'action. C’est exactement le rôle de la mission. Elle trace un chemin vers lequel tendre, même dans le brouillard.
Et puis, il y a une réalité plus brute : aujourd'hui, il n'y a plus le choix.
Peut-être qu'à Paris, dans les tours de La Défense, on ressent moins directement les effets des crises climatiques. Mais dans les territoires, c’est concret : sécheresses, tempêtes, inondations… Il faut être totalement déconnecté ou aveugle pour ne pas voir ce qui se passe.
Dès lors, beaucoup de dirigeants n'ont plus seulement une intuition : ils perçoivent leur engagement comme une question de survie. La question n’est plus « pourquoi agir », mais « comment mon entreprise existera-t-elle encore dans cinq ou dix ans ? ». Surtout quand on sait, par exemple, que près de 80 % des emplois en France dépendent entièrement des services rendus par la biodiversité.
Bref, au départ, certains sont venus par conviction intime. Mais aujourd'hui, beaucoup rejoignent ce chemin par nécessité stratégique.
Ils savent que les crises sont bien là. Ils ont investi, ils ont structuré leur stratégie autour de la responsabilité. Pourquoi feraient-ils machine arrière alors que, justement, ils constatent les bénéfices concrets de cette transformation ?
Non, à mon sens, aucun backlash chez les dirigeants.
Ce que l’on voit, c’est une tentative de certains milieux politiques, et pas seulement en France, de surfer sur une dérive populiste, en cherchant à alléger toutes contraintes. Et cela dépasse largement les sujets liés à la RSE, comme la remise en cause de lois anti-corruption par exemple.
Aux États-Unis, ce mouvement prend de l’ampleur, au point de renier des valeurs fondamentales d’éthique et de morale. Mais en Europe, et notamment en France, je constate que les dirigeants d'entreprise, eux, ne basculent pas.
Ils savent que les crises sont bien là. Ils ont investi, ils ont structuré leur stratégie autour de la responsabilité. Pourquoi feraient-ils machine arrière alors que, justement, ils constatent les bénéfices concrets de cette transformation ?
Certains politiques sont tentés de simplifier à outrance, de renier la complexité du réel. Mais les entreprises sérieuses, elles, avancent. Mieux encore : face à la caricature d'un modèle ultra-libéral décomplexé, les entreprises à mission apparaissent comme un contre-modèle désirable, crédible, pérenne. Un modèle adulte, fondé sur le respect des droits humains, sur la considération des limites planétaires, et sur une éthique du business.
En cédant au court-termisme, en sacrifiant notamment leur capacité d'innovation et de recherche au profit du soutien immédiat des cours de bourse, les entreprises avaient fragilisé leur propre résilience.
Oui, c’est important de le rappeler.
À l’origine, l'entreprise à mission est née d'une analyse post-crise. Après 2008, des chercheurs des Mines se sont interrogés : pourquoi les entreprises avaient-elles failli ? Leur conclusion : en cédant au court-termisme, en sacrifiant notamment leur capacité d'innovation et de recherche au profit de résultats immédiats ( par exemple le soutien de leurs cours de bourse), les entreprises avaient fragilisé leur propre résilience.
D'où cette idée d'« objet social étendu », qui deviendra le concept à la base de l’entreprise à mission. L'objectif : réancrer les entreprises dans le long terme, dans une vision durable, dans une responsabilité élargie à l'égard de la société et de l'environnement.
Et ce qui est frappant aujourd’hui, c’est de voir que certains, notamment aux États-Unis, semblent prêts à retomber dans les mêmes travers mais en pire. Moins de régulation, moins de garde-fous… Comme si aucune leçon n'avait été tirée de 2008.
Il y a de quoi être inquiet. Car les mêmes causes produiront inévitablement les mêmes effets.
C'est une autre manière d'envisager la réussite : non pas comme une course effrénée aux résultats trimestriels, mais comme la capacité à durer, à traverser le temps.
Exactement.
La vraie ligne de partage, elle est là. Le modèle de l’entreprise à mission permet de changer de« lunettes », en installant une nouvelle boussole stratégique pour les actionnaires, qui seront moins focalisés sur des objectifs de rentabilité immédiats. La clé est donc dans la capacité des actionnaires à accepter ce changement de focale.
Dans certains cas, c’est structurellement plus compliqué : grandes entreprises internationales, entreprises cotées, appartenant à des fonds spéculatifs … Certaines entreprises à mission font d’ailleurs évoluer leur actionnariat afin de renforcer la vision long terme, en confiant une partie de leur capital à une fondation actionnaire par exemple, un modèle assez répandu en Europe du Nord.
L’intérêt de privilégier le long terme est de rendre possible à nouveau les investissements, l’innovation, sans la pression permanente du rendement immédiat. Il est souvent indispensable d’accepter de baisser les dividendes pour pouvoir investir, parfois sur plusieurs exercices, dans la transformation de son business model. Ce qui permet de retrouver de la rentabilité ensuite.
C’est une autre manière d’envisager la réussite : non pas comme une course effrénée aux résultats trimestriels, mais comme la capacité à durer, à traverser le temps.
C’est formidable d’avoir un leader engagé, mais cela reste fragile : tout repose sur une personne. Avec l'entreprise à mission, il y a une forme d’ancrage collectif.
Dès qu’une entreprise adopte la qualité d’entreprise à mission, elle l’inscrit dans ses statuts. Ce n’est donc plus le projet d'un seul dirigeant, mais celui de l’entreprise toute entière, validé par ses actionnaires.
À partir de ce moment-là, la mission devient structurelle : elle engage la gouvernance dans son ensemble.
C’est une différence fondamentale par rapport à une entreprise portée uniquement par un dirigeant visionnaire. C’est formidable d’avoir un leader engagé, mais cela reste fragile : tout repose sur une personne. Avec l'entreprise à mission, il y a une forme d’ancrage collectif.
Et puis, il y a le comité de mission. Cet organe singulier joue un rôle clé : il fait le lien entre l'interne et l'externe, il éclaire, il questionne, il challenge la stratégie pour s’assurer qu’elle reste fidèle à la mission. Le comité n’est pas là pour contrôler au sens strict, mais pour accompagner, pour offrir un regard lucide, ouvert sur le monde extérieur. C’est une respiration essentielle pour éviter de s'enfermer dans une vision autocentrée.
Le mythe du dirigeant tout-puissant, seul maître à bord, est une illusion. L’entreprise, c’est un corps social complexe : les actionnaires, les banques, les collaborateurs, les clients, les fournisseurs...
Oui, tout à fait. C’est une véritable assurance pour le dirigeant. Il n’est plus seul à porter la vision, il l’inscrit dans un collectif.
Beaucoup de dirigeants nous disent d’ailleurs : « J’ai dû adapter certains éléments de ma raison d’être, parce que le travail collectif m’a fait voir les choses autrement.» Et finalement, ils s’en félicitent. Parce que ce n’est pas un affaiblissement : c’est un enrichissement.
Le mythe du dirigeant tout-puissant, seul maître à bord, est une illusion. L’entreprise, c’est un corps social complexe : les actionnaires, les banques, les collaborateurs, les clients, les fournisseurs...
Évidemment qu’il y a une incarnation, une orchestration, mais la stratégie n’appartient jamais uniquement à un homme ou une femme. L'entreprise est un organisme vivant, nourri par une pluralité d'acteurs.
En fait, tout commence par le soin porté à la définition de sa mission.
La raison d’être doit être profondément aspirationnelle, presque philosophique.Elle doit proposer de résoudre une problématique majeure, à long terme.
Et c’est essentiel que cela reste une intention ouverte : une direction claire, mais pas un carcan rigide.
Prenons un exemple concret : une entreprise qui développe des logiciels pour mesurer l’empreinte carbone. Elle peut se dire : « Mon but est de vendre des logiciels. » Dans ce cas, elle enchaînera les versions : XP2, XP3, etc. et cherchera à en vendre de plus en plus. Ou bien elle peut orienter sa mission vers un objectif plus large, plus sociétal : « Mon but est de contribuer à lutter contre le changement climatique en aidant mes clients à réduire leur empreinte carbone. »
À partir de là, tout s’élargit.
Les logiciels ne sont qu’une réponse parmi d’autres : elle pourra aussi proposer du conseil, de la formation, mettre des techniciens à disposition...
C’est cette capacité d'ouverture qui donne de l’agilité dans le temps.
La bonne méthode, c’est donc de poser une ambition haute, durable, et de la décliner sur trois à quatre ans en objectifs statutaires. Ces objectifs traduisent la mission en actions concrètes, pilotables, et forment finalement le plan stratégique de l’entreprise.
Ce plan devient vivant : il peut évoluer au gré de la concurrence, des évolutions de marché, des normes, sans jamais perdre de vue l’étoile du berger.
Et surtout, il permet d’intégrer la mission dans la gestion quotidienne : au même titre que l'on suit des indicateurs financiers, on peut évaluer le management sur sa contribution aux objectifs de mission.
Un bel exemple est celui de Crédit Mutuel Arkéa.
Ce groupe bancaire centenaire est devenu entreprise à mission en 2022. Comme de nombreuses entreprises, le modèle s’est d’abord construit avec des objectifs ambitieux, qui venaient s’ajouter à la stratégie existante, pour être aujourd’hui complètement intégré au nouveau plan stratégique qui vient d’être dévoilé. On voit bien que dans ce cas, la mission est tellement dans l’ADN de l’entreprise que cela devient une réalité quotidienne.
On ne peut pas justifier tout choix stratégique au nom d'une finalité abstraite. Il faut que les étapes intermédiaires soient cohérentes, alignées. Car oui, il peut exister des dérives si l'on sacralise la mission au point de justifier des moyens incohérents. Tu as raison, et c'est pour cela qu'il faut garder les pieds sur terre.
La mission doit inspirer, mais elle doit aussi être traduite en objectifs opérationnels précis, mesurables. Et il faut accepter que parfois, tout ne fonctionne pas du premier coup.
Certaines entreprises à mission testent des choses, expérimentent, essuient des échecs... puis rebondissent.
L’enjeu n’est pas de réussir du premier coup, mais de rester fidèles à l’intention, et d’ajuster, d’innover, d’avancer. Je pense à GPA, par exemple, qui est passée de fournisseur de pièces détachées automobiles pour assureurs à un modèle radicalement différent, axé sur l’économie circulaire. Ils ont transformé leur sourcing, leur clientèle, leur approche industrielle. Ils n’ont pas renié leur savoir-faire : ils l'ont redirigé vers quelque chose de plus utile, plus désirable, plus vertueux.
Ils sont passés d’une logique de fin de vie automobile à une logique de réintégration dans l’économie. Aujourd’hui, 99,7% d’une voiture est recyclée chez eux. C’est extraordinaire.
Revenir à cette racine, à cette intention fondatrice, permet souvent de retrouver une forme de radicalité saine : réinterroger ce qu’on veut vraiment apporter au monde.
Pour une entreprise qui débute sur ce chemin, l’analyse de double matérialité est sans doute l’un des outils les plus précieux. Elle ne dit rien de votre mission future, ni de votre singularité, mais elle offre une première confrontation au réel : identifier, concrètement, les vulnérabilités de votre modèle. Surtout pour les structures avec des flux physiques importants: un jour, votre sourcing pourrait disparaître, touché par une crise politique, un effondrement climatique ou une pénurie de ressources stratégiques –minerais, café, matières premières métalliques. Regardez la tension actuelle sur certains approvisionnements : ce n’est plus une hypothèse, c’est une réalité.
La première étape est donc d’ouvrir les yeux sur les fragilités de son modèle économique.
Puis vient le moment, intellectuellement passionnant, de tricoter autour de ce constat. Que fait-on de ce capital existant, de ces risques identifiés ? Quelle solution a-t-on envie d'apporter demain ?
À ce stade, revenir aux origines de l’entreprise est souvent fécond.
Qu’est-ce qui, à sa création, a animé ses fondateurs ? Quel était le génie initial, la vision porteuse ? Revenir à cette racine, à cette intention fondatrice, permet souvent de retrouver une forme de radicalité saine : réinterroger ce qu’on veut vraiment apporter au monde.
C’est à partir de ce socle qu’on peut formuler une stratégie nouvelle, en croisant ce que l’on est, ce que l’on risque et ce à quoi on souhaite désormais contribuer. Ce travail ne se fait pas seul : il faut savoir s’entourer, se faire accompagner, accepter de remettre en cause certaines évidences pour écrire un nouveau chapitre.
Cela suppose aussi un vrai changement de regard : passer d’une logique de vente de produits ou de services à une logique de résolution de problèmes. C’est là que naît la véritable valeur : économique bien sûr, mais aussi sociale, sociétale, territoriale.
De nombreuses entreprises implantées dans des régions contraintes l’ont compris : en s’ouvrant à leur écosystème local, en dialoguant avec les collectivités, les acteurs voisins, elles découvrent des solutions circulaires, évitent d’envoyer leurs déchets ou ressources secondaires à des centaines de kilomètres. De nouveaux chemins de coopération et d'innovation s'ouvrent à condition d’oser aller vers l'inconnu.
Nous avons aujourd'hui à la Communauté de nombreuses preuves concrètes : des histoires de pivot, parfois radicaux, parfois plus modestes, mais toujours significatifs.
En matière d’entreprises à mission, nous aimons dire qu’il existe trois grandes familles :
Enfin, même si chaque mission est unique et donc difficile à quantifier en termes d'impact global, nous constatons des effets vertueux : une fierté d'appartenance renforcée chez les collaborateurs, visible dans les baromètres internes ; une attractivité accrue : des entreprises industrielles ou bancaires peu séduisantes auparavant reçoivent aujourd’hui bien plus de candidatures spontanées ; une dynamique commerciale nouvelle: les clients eux-mêmes s'emparent du sujet et interrogent les commerciaux sur l'engagement de leur entreprise.
Mais attention : tout repose sur la sincérité du chemin engagé. Une mission affichée sans actions réelles est contre-productive. Le risque de dissonance est majeur. Si l’entreprise ne respecte pas son engagement, mieux vaut s’abstenir que de trahir la confiance.
Comme toujours, il s’agit d’un chemin de transformation : lent, exigeant, mais extraordinairement fécond pour celles et ceux qui acceptent de le parcourir avec courage et lucidité.
Notre rôle à la CEM est d’accompagner cette transformation, mais le véritable objectif, c’est que cela nous échappe, dans le bon sens du terme : que les entreprises s'approprient pleinement ce modèle et qu'il vive de lui-même.
Pour la Communauté, mais au fond, ce n’est pas tant pour nous que pour le mouvement, je souhaite que la dynamique continue de grandir.
Que l'idée d'entreprise à mission infuse encore davantage dans les esprits, qu’elle devienne un réflexe, une évidence.
Notre rôle à la CEM est d’accompagner cette transformation, mais le véritable objectif, c’est que cela nous échappe, dans le bon sens du terme : que les entreprises s'approprient pleinement ce modèle et qu'il vive de lui-même.
Je trouve d’ailleurs très beau de constater que cette croissance est en partie organique, portée par les dirigeants eux-mêmes, par les salariés, par la société civile.
Le modèle est perfectible, bien sûr. On pourrait aller plus loin sur certains sujets comme le partage de la valeur ou du pouvoir.
Mais sa force est là : il est suffisamment souple pour s’adapter à de multiples contextes, suffisamment exigeant pour rester crédible.
Ce que je souhaite, profondément, c’est que ce modèle irrigue toutes les formes d’entreprise, sans étiquette politique, parce qu’il touche au fondement même de ce qu’est une entreprise : un acteur de la société. À gauche, à droite, peu importe : ce qui compte, c’est la volonté de conjuguer performance et responsabilité, liberté et engagement.
Et c’est là toute la beauté de ce projet.
Aujourd’hui, c’est de notre rapport à l’entreprise, au travail, à la société que pourrait naître ce nouvel élan. C’est ce que je souhaite. Pour la CEM. Pour moi. Et pour tous ceux qui croient que l’on peut faire mieux.
Pour moi, simplement de continuer ce travail de conviction. De semer encore plus de graines, de diffuser ce message autant que possible. J’ai une équipe formidable, engagée, et cela me donne beaucoup d’énergie.
Et puis, j’ai un rêve plus large : que l'Europe trouve un nouvel élan autour de cette vision de l’entreprise. Qu’elle parvienne à formaliser, à affirmer fièrement un modèle d’affaires qui soit en phase avec ses valeurs humanistes, sociales, environnementales. Pas par posture, mais parce que c’est, profondément, ce qui peut rendre l’Europe unique et forte dans ce siècle mouvementé.
Un peu comme au XVIIIᵉ siècle, lorsque les droits de l’homme ont émergé : une idée neuve, audacieuse, portée collectivement.
Aujourd’hui, c’est de notre rapport à l’entreprise, au travail, à la société que pourrait naître ce nouvel élan. C’est ce que je souhaite. Pour la CEM. Pour moi. Et pour tous ceux qui croient que l’on peut faire mieux.